Thierry, photographe d’Utopia 56, a suivi une maraude avec deux bénévoles de l’association. Dans la nuit du 17 au 18 mai, le temps d’une maraude, ce photo-reportage nous amène aux cotés des quelques 600 exilés qui vivent dans les rues à Calais …

 

Tout commence à 18h, chaque soir, où une grande distribution est organisée dans une zone industrielle calaisienne. Ces distributions de repas, couvertures, vêtements, sont tolérées par les forces de l’ordre pour une heure, grand maximum. À partir de 19h, une des équipe de nuit d’Utopia 56 maraude jusqu’à tard dans la nuit. L’objectif ? Se déplacer à différents points en ville pour mettre à l’abri les mineurs dans un centre d’accueil spécialisé, distribuer des repas chauds, donner des vêtements, des produits d’hygiènes et des couvertures.

« Les exilés, fidèles à leurs rendez-vous quotidien pour un repas chaud, arrivaient par dizaine sur un terrain vague. Les plus valeureux attendaient en jouant au football, un échappatoire presque normal devant l’œil lointain des forces de l’ordre. Cette police qui éparpillera tous ces gens, repas terminé ou pas, faute de quoi les bombes lacrymales seront utilisées … Une heure. Une heure c’est le temps accordé par la police pour distribuer et faire manger des centaines de repas. Ramené à l’individu, ils ont 15 secondes me rapporte un des bénévole. Une heure plus tard en effet la police éparpillera tout le monde. »

« Il pleut averse sur Calais. Les abris de fortunes nommés Handy-bag censés ramasser les déchets restant, serviront de ponchos imperméables. […] Abraham allait devoir attendre que la pluie cesse, emmitouflé dans ses sacs poubelle. L’œil grave mais l’espoir écrit sur son visage. »

« Très vite, sur le téléphone d’urgence mineurs, les appels de détresse ne se firent pas attendre. Un premier groupe de mineurs demandaient protection. Après vérification des identités et de leur âge, les deux bénévoles leur répètent deux fois la procédure : il faut les amener à la police et ensuite ils seront conduits à Saint-Omer, au centre d’accueil pour mineurs isolés étrangers. […]

Au poste de police, le chef nous dit : C’est bizarre quand il ne pleut pas on n’en voit aucun, il n’y a personne pour Saint-Omer, aujourd’hui comme par hasard il y a des tas de demandes !

Quand il pleut comme ça et qu’il demande protection, n’est-ce pas là l’ultime recours de survie ? Cette demande protection est un passage obligatoire par la case police et, avec la réputation qu’ils ont auprès des migrants et des bénévoles, c’est un exercice qu’il faudrait, qu’ils voudraient éviter. »

« La bénévole, de son côté, recevait d’autres appels. Dont un mineur de 14 ans. Aussitôt nous partons à la gare de Calais. Dès que nous arrivons, c’est une dizaine de jeunes qui entrent se mettre à l’abri dans le fourgon. Dix minutes d’abri c’est dix minutes de moins sous la pluie. La plupart tremblait par le froid et l’humidité. Quand on leur dit qu’il faut passer par la police la moitié s’en vont. Ils en ont peur. C’est tout de même sept jeunes qu’il faut conduire à ce même poste de police. »

« Mais visiblement, Saint-Omer ne peut plus accueillir plus de mineurs selon la police. À nouveau dans le fourgon, quelques coups de téléphone confirment. En cherchant une solution, on se souvient que l’État ne peut laisser un mineur de moins de 15 ans sans protection. La bénévole amène donc ce jeune, ainsi qu’un autre de 15 ans et 2 mois à la police. Elle reviendra avec le plus vieux car il a plus de 15 ans … Ce jeune ne comprenait pas pourquoi il n’y avait pas de solution. »

« Les deux bénévoles essaieront en anglais de lui expliquer pourquoi il ne pouvait pas se rendre au centre d’accueil pour mineur. Rien n’y fera. Sa maturité et sa vivacité d’esprit ne laissait aucun doute à son intelligence, mais il ne pouvait se résoudre à ce sentiment d’abandon. »

« Ça touchait au plus profond d’eux, nos deux bénévoles. Il se donne corps et âme pour cause ils savent juste. Mais la le désarroi le sentiment d’abandonner quelqu’un est plus fort que tout. On les sent blessés face à cette machine de guerre qu’est l’impuissance. »

« Il pleuvait des cordes sur Calais rien ne pouvait les déculpabiliser de remettre sous ce déluge ses enfants. Terrible choix d’abandon. »

« Seul réconfort : un thé chaud. Présence et chaleur de cœur. »

« Quatre heures du matin la pluie se faisait moins battante mais le froid était toujours là. Un petit jeune de 15 ans réveillé par le froid sorti d’une de ses poches une couverture de survie. […] Il découpa la feuille d’or et d’argent qu’est la couverture, enleva ses chaussettes mouillées, entoura ses pieds de ce plastique et remit des chaussettes sèches. »

« 5h30 du matin, la nuit est presque terminée. Les Utopias auront encore à faire dans la journée qui suit … »